Selon les chercheurs, l'amélioration de la qualité de l'eau nécessitera des améliorations de l'infrastructure en raison de la croissance démographique. Crédit : John Wessels/AFP via Getty

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Selon une étude de modélisation, jusqu'à 5,5 milliards de personnes dans le monde pourraient être exposées à de l'eau polluée d'ici 2100.

Les chercheurs ont cartographié la qualité des eaux de surface selon trois visions différentes du climat et du développement socio-économique futurs.

Dans tous les cas, l'Afrique subsaharienne figure parmi les régions les plus touchées.

Les prévisions, publiées dans Nature Water le 17 juillet1, offrent "une analyse temporelle et spatiale de ce qui était, jusqu'à présent, des preuves anecdotiques concernant la qualité de l'eau en Afrique subsaharienne", déclare Tafadzwa Mabhaudhi, qui étudie le changement climatique et la sécurité alimentaire à l'université de KwaZulu-Natal, à Durban, en Afrique du Sud.

En l'absence d'investissements adéquats dans les infrastructures ou le traitement de l'eau, "nous sommes définitivement assis sur une bombe à retardement", commente Joshua Edokpayi, chercheur en gestion de la qualité de l'eau à l'université de Venda, à Thohoyandou, en Afrique du Sud.

Selon les estimations des Nations unies, deux milliards de personnes dans le monde luttent déjà pour accéder à l'eau potable. Au cours des dernières décennies, c'est en Asie de l'Est et dans la région du Pacifique que la pollution des eaux de surface a été la plus importante, en raison du boom de l'industrialisation et de de la population provoquant une augmentation de la demande en eau dans des régions ne disposant pas des infrastructures nécessaires.

Prévisions concernant l’eau

Pour étudier les effets futurs de tendances similaires, les chercheurs ont modélisé la qualité de l'eau par tranches de 20 ans, de 2005 à 2100, à l'aide de modèles existants de la qualité de l'eau à l'échelle mondiale.

Ils ont pris en considération trois scénarios climatiques futurs utilisés par le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, connus sous les noms de SSP1-RCP2.6, SSP5-RCP8.5 et SSP3-RCP7.0. SSP signifie "shared socio-economic pathways" (voies socio-économiques partagées) et prend en compte divers facteurs sociétaux, tandis que RCP décrit des "voies de concentration représentatives", se référant aux trajectoires des concentrations de gaz à effet de serre. Par exemple, le scénario SSP5-RCP8.5 correspond à une trajectoire de maintien du statu quo, définie par la poursuite d'un progrès technologique important, avec une préoccupation limitée pour le réchauffement de la planète. Le scénario SSP1-RCP2.6 définit un avenir "vert" optimiste dans lequel la durabilité devient une priorité mondiale.

L'équipe a constaté que dans tous les scénarios, la qualité de l'eau s'est détériorée dans les pays d'Amérique du Sud et d'Afrique subsaharienne dotés d'économies émergentes. En revanche, dans de nombreux pays riches, les niveaux de polluants organiques et de substances susceptibles de provoquer des maladies ont eu tendance à diminuer, grâce à l'amélioration du traitement de l'eau.

La projection SSP3-RCP7.0, qui décrit une "route cahoteuse" à venir, caractérisée par des rivalités nationales croissantes associées à des progrès économiques et environnementaux lents, s'est distinguée comme le scénario le plus pessimiste (voir "Prévisions en matière de pollution"). Dans ce modèle, la pollution organique de l'eau en Afrique subsaharienne fait plus que quadrupler d'ici 2100, exposant 1,5 milliard de personnes à une eau insalubre. La détérioration de la qualité de l'eau en Asie du Sud, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord entraîne également une exposition accrue à la pollution dans ces régions.

Edward Jones, géoscientifique à l'université d'Utrecht (Pays-Bas), coauteur de l'étude, est surpris par ces résultats. Il ajoute que même si un scénario de maintien du statu quo impliquerait une dépendance insoutenable à l'égard des combustibles fossiles, il pourrait également conduire à une amélioration des infrastructures hydrauliques et donc de la qualité de l'eau, comme cela a déjà été observé dans certains pays. Le scénario SSP3-RCP7.0 se caractérise par une faible croissance économique, un changement climatique grave et une expansion démographique, ce qui entraîne une gestion de la qualité de l'eau bien pire.

Effort mondial

Edokpayi et Mabhaudhi affirment tous deux que cette étude met en évidence la nécessité d'une meilleure mise en œuvre des politiques régionales en matière de qualité de l'eau. Selon les objectifs de développement durable des Nations unies, tous les habitants de la planète devraient avoir accès à l'eau potable d'ici à 2030. Toutefois, M. Mabhaudhi estime qu'il existe un décalage entre les politiques mondiales et la réalité à plus petite échelle, et que le monde a besoin d'approches conjointes qui "placent les issues pour les personnes et la planète au centre des préoccupations".

La pollution défie les frontières nationales, affirme M. Edokpayi, et les collaborations transfrontalières seront cruciales pour empêcher les pires prédictions de se réaliser.