Des chercheurs de l'île Marion examinent une carcasse d'albatros.Crédit : Christopher Jones

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Des souris rongent des albatros errants adultes, causant des blessures qui entraînent ensuite leur mort. Cette découverte faite en avril sur l'île Marion, dans le sud de l'océan Indien, où nichent 25 % de la population mondiale d'albatros, fait craindre pour leur avenir.

L'île Marion et l'île du Prince Edouard, distantes d'une vingtaine de kilomètres, constituent la zone marine protégée des îles du Prince Edouard, un territoire sud-africain situé à environ 2 200 km au sud-est du Cap, dans le sud de l'océan Indien. Les îles du Prince Édouard abritent la moitié des albatros errants du monde pour leur reproduction.

Les souris sont arrivées sur Marion au début des années 1800, lorsque les navires de chasse au phoque y faisaient escale. Pendant deux siècles, les rongeurs se sont nourris d'insectes et d'autres invertébrés, principalement d'un papillon de nuit local, ainsi que de charançons, d'acariens, d'araignées et de vers. En 2003, cependant, les premières preuves sont apparues que les souris se tournaient vers les poussins d'oiseaux de mer comme source de nourriture facile, une tendance qui s'est depuis lors intensifiée. La découverte d'avril est la première fois que l'on documente ici des attaques de souris sur des albatros errants adultes, et aussi les premières attaques mortelles.

Les corps de deux albatros errants adultes, suffisamment frais pour que l'on puisse déterminer la cause de leur mort, ont été découverts sur la côte nord de l'île Marion, dans la région subantarctique, en avril dernier. Ils faisaient partie des huit corps d'albatros adultes trouvés dans les environs immédiats. Tous étaient morts à quelques semaines d'intervalle. Les carcasses présentaient de profondes blessures au niveau des coudes. Les traces de sang environnantes indiquaient que les blessures avaient été infligées alors que les oiseaux étaient encore en vie. La cause probable de la mort : une infection secondaire ou la famine, car les oiseaux estropiés n'auraient pas pu se nourrir en mer.

"Il est très rare de trouver des carcasses d'albatros sur la terre ferme, car ces oiseaux passent la majeure partie de leur vie en mer", explique Maëlle Connan, écologiste marine à l'Institute for Coastal and Marine Research de l'université Nelson Mandela, en Afrique du Sud.

Albatros à tête grise, avec des blessures au cuir chevelu dues à des attaques de souris.Crédit : Ben Dilley

Connan et ses collègues ont constaté que les blessures étaient typiques de celles infligées par les souris, qui trouvent de plus en plus de proies faciles dans la population d’oiseaux marins nicheurs du monde entier. Anton Wolfaardt, de Birdlife South Africa, craint que ces attaques ne suivent un modèle observé sur l’atoll de Midway d'Hawaï dans le Pacifique, où des souris ont commencé à attaquer des albatros de Laysan en 2015. "Sur l'atoll de Midway, 42 albatros ont été tués la première année, et un an plus tard, le nombre de décès est passé à 242", a déclaré M. Wolfaardt.

L'île Marion est devenue nettement plus chaude et sèche au cours des trois dernières décennies, ce qui a prolongé la saison de reproduction estivale des souris, entrainant la croissance exponentielle de leur population et de ses besoins alimentaires. Les chercheurs estiment que le nombre d'invertébrés a chuté de près de 90 % sur l'île Marion depuis le milieu des années 1970. La différence est frappante par rapport l’île voisine de Prince Edouard, qui est restée exempte de souris. Les insectes sont toujours abondants sur Prince Edouard, et la vie végétale est nettement moins endommagée que sur l’île Marion.

Le sinistre résultat d'une attaque de souris.Crédit : Anton Wolfaardt

En 2015, Ben Dilley, chercheur doctorant à l'Institut Percy-Fitzpatrick d'ornithologie africaine de l'université du Cap, a filmé des attaques nocturnes de souris sur des poussins d'albatros à tête grise à South Marion, confirmant ainsi une tendance qui s'était intensifiée à un rythme "sans précédent" au cours des deux décennies précédentes : Lorsque les souris trouvent de jeunes poussins couverts de duvet, elles s'attaquent à leurs ailes ou à leur croupion. Chez les oisillons plus âgés, dont le plumage s'est durci, les souris trouvent plus facilement leur compte sur la tête, où les plumes souples de la couronne permettent encore d'accéder facilement à la peau.

Les oisillons scalpés et affaiblis sont vulnérables aux infections secondaires, souvent mortelles, ou constituent des proies faciles pour les prédateurs tels que les pétrels. Selon Peter Ryan, professeur émérite à l'Institut Percy-Fitzpatrick, même si ces premiers décès d'albatros adultes sont peu nombreux, ce changement de comportement des souris est extrêmement préoccupant en raison de ses implications pour la population d'oiseaux.

Les albatros errants ne commencent à se reproduire qu'à l'âge de huit à dix ans, ils n'ont qu'un poussin tous les deux ans et il faut près de 12 mois pour que les poussins soient suffisamment grands pour voler. Les albatros errants peuvent atteindre 60 ans, mais à partir de l'âge de 30 ans, leur potentiel de reproduction diminue. "Pour que la population d'albatros soit viable, il faut que le taux de survie des adultes soit élevé", explique M. Ryan.

En 2025, le Ministère Sud-Africain des Forêts, de la Pêche et de l'Environnement prévoit un programme d'éradication des rongeurs. D'avril à août, des hélicoptères du projet Mouse-Free Marion balaieront l'île, répandant des appâts empoisonnés ciblant les rongeurs. C'est la méthode utilisée dans d'autres programmes d'éradication similaires sur des îles subantarctiques telles que la Géorgie du Sud, Macquarie et Campbell, qui ont toutes été couronnées de succès et ont permis aux colonies d'oiseaux de mer fortement touchées de se reconstituer. L'initiative Mouse-Free Marion sera la plus importante du genre, selon Birdlife South Africa, qui la gérera au nom du gouvernement sud-africain.