Nana Mensah (à gauche), Abib Duut (au centre) et Mohammed Shaaban (à droite), chercheurs en début de carrière à l'Institut Francis Crick de Londres, suggèrent des moyens de promouvoir l'équité dans les partenariats de recherche mondiaux.Crédit: Steve Potvin/Institut Francis Crick

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Hollywood a le don de peindre des histoires captivantes de scientifiques du monde entier s'unissant pour réaliser l'extraordinaire - vaincre un virus mortel ou trouver un nouveau foyer pour l'humanité - démontrant l'idée que la meilleure science transcende les frontières. Les collaborations internationales nous ont permis de mettre au point un vaccin contre le virus COVID-19, une station spatiale capable de surveiller le climat et la preuve de l'existence de l'insaisissable boson de Higgs.

Mais en tant que chercheurs qui viennent de pays à faibles revenus et travaillant aujourd'hui dans un pays plus riche, nous pouvons constater que les collaborations scientifiques ne sont pas aussi chic ou équitables que Hollywood les dépeint.

Nos liens personnels avec l'Afrique font apparaître clairement le privilège scientifique des pays riches. M.S., qui a grandi en Égypte, a constaté que ses ambitions en matière de biologie structurelle étaient entravées par la disponibilité limitée d'instruments de pointe dans le pays. En 2016, il n'y avait pas un seul microscope électronique cryogénique - qui peut être utilisé pour révéler les structures biologiques au niveau moléculaire - dans toute l'Afrique. Cette réalité incontestable a été l'une des raisons pour lesquelles il a poursuivi ses études supérieures à l'étranger. En employant des ressources et instruments aux États-Unis et au Royaume-Uni, il a contribué à révéler les structures de protéines impliquées dans la nucléation du moteur moléculaire de l'actine et dans la régulation de l'ubiquitine ligase, qui peut aider à cibler les protéines pour la dégradation1,2 - des réalisations qui seraient restées hors de portée s'il était resté en Égypte.

A.D. et N.M. sont tous deux nés au Ghana mais ont suivi des voies différentes dans leur carrière scientifique. Pour A.D., le Ghana était son pays d'origine jusqu'à ce que ses mentors de premier cycle, l'encouragent à chercher des occasions en Europe. Avec leur aide, il a obtenu financement pour travailler comme informaticien, d'abord en Allemagne, puis au Royaume-Uni. Il a ainsi pu subvenir aux besoins financiers de sa famille tout en acquérant une expérience inestimable dans des institutions de niveau international. En revanche, N.M. a immigré au Royaume-Uni avec sa famille à un jeune âge et a fini par être naturalisé. Cela lui a permis d'accéder à une carrière en génétique qui n'aurait pas été possible au Ghana. Il a étudié à l'Université de Lancaster, au Royaume-Uni, pour une fraction des frais facturés aux étudiants étrangers, et a ensuite rejoint le National Health Service britannique au moment même où l'agence commençait à développer son expertise mondiale en génomique.

Les nantis et les démunis

En quoi nos histoires seraient-elles différentes si nous n'avions pas poursuivi notre carrière universitaire à l'étranger? Tous les trois, nous avons entendu d'innombrables récits de frustration racontés par des collègues du monde entier : un chimiste de Delhi qui a manqué un délai de révision à cause d'une inondation catastrophique ; un microbiologiste du Kenya dont les échantillons congelés de parasites du paludisme ont été détruits par des coupures d'électricité fréquentes ; et un généticien d'Afrique de l'ouest dont le laboratoire voit les étudiants arriver et repartir avant que les réactifs nécessaires à leurs expériences n'aient pu être importés pendant des mois. Ces défis infrastructurels, financiers et techniques empêchent les pays à faible revenu d'accéder aux technologies qui permettent de réaliser des travaux scientifiques à fort impact.

Cette disparité est confirmée non seulement par des anecdotes, mais aussi par des données. Les pays du G20, un groupe de pays dont les économies sont parmi les plus importantes au monde, représentent ensemble 93 % des revues de la recherche mondiale, un indicateur de la production scientifique (voir "La production scientifique mondiale est dominée par les pays les plus riches").

La production scientifique mondiale est dominée par les pays riches: Certaines des plus grandes économies du monde, les pays du G20, représentent 93 % de l'ensemble des publications scientifiques. Cette disparité est le produit d'iniquités entre les "nantis" et les "démunis" scientifiques, et peut se refléter dans les collaborations internationales.Source : Clarivate G20 Scorecard & Research Performance Report 2023

Mais les nations les plus durement touchées par les crises mondiales - telles que l'élévation du niveau des mers, le changement climatique et les épidémies de virus Ebola et Zika - qui ont besoin de solutions base sur la recherche ne figurent pas sur cette liste prestigieuse. Le contraste est frappant, une ligne invisible séparant les "nantis" de la science des "démunis". Entre 2012 et 2019, les pays riches ont connu une baisse constante de la production de recherche sur des sujets liés aux 17 objectifs de développement durable, une initiative des Nations Unies visant à assurer "un avenir meilleur et plus durable pour tous". Cette baisse est inquiétante car elle compromet les efforts déployés pour trouver des solutions aux problèmes mondiaux urgents - qu'il s'agisse de mettre fin à la pauvreté et à la faim ou d'améliorer l'éducation et l'égalité - en particulier dans les pays les plus touchés par ces problèmes.

Collaborations internationales

Les efforts visant à combler le fossé scientifique ont été menés par des universités, des organisations de financement et des gouvernements. L'inspiration remonte à 1990, lorsque le gouvernement néerlandais a amélioré les partenariats avec les chercheurs en santé du Ghana. Alors que les programmes d’avant ne répondaient pas aux besoins locaux, le programme ghanéen-néerlandais de recherche en santé pour le développement a financé 79 études menées par des scientifiques ghanéens qui ont choisi leurs collaborateurs et les orientations du projet. Cette structure a donné aux scientifiques sur le terrain l'autonomie dont ils avaient besoin pour mener des recherches à fort impact. Le programme a été couronné de succès bien qu'il se soit concentré sur des thèmes que certains chercheurs néerlandais étaient moins susceptibles de poursuivre seuls3, notamment la conception de programmes d'immunisation au niveau des districts, la réduction de la mortalité maternelle, l'optimisation des centres de traitement de la tuberculose et la conception d'un régime national d'assurance-maladie.

Pourtant, trois décennies après la collaboration ghanéo-néerlandaise, les chercheurs africains continuent d'être exclus des systèmes de financement internationaux et des programmes de renforcement des capacités4.

Les partenariats mondiaux devraient profiter tout le monde, en offrant une formation et un accès à l'équipement et aux données pour toutes les parties concernées. Mais ils finissent souvent par être unilatéraux, les pays riches "sauvant" les pays pauvres, ce qui perpétue les inégalités. Les programmes devraient valoriser les talents scientifiques dans les pays à revenu faible et intermédiaire (PRFI) et traiter tous les partenaires d’une manière égale. Les échanges dans les deux sens sont essentiels, car ils permettent aux chercheurs des PRFM d'acquérir de l'expérience dans les pays à revenu élevé (PRI), et vice versa. La collaboration entre le Ghana et les Pays-Bas est un excellent modèle : il faut laisser les chercheurs des PRFM fixer les priorités et diriger les projets. Nous pensons que le financement de la recherche internationale devrait être déterminé par la qualité de la recherche et de la collaboration. La création d'académies scientifiques dans les PRFM, à l'instar de l'Académie nationale des sciences des États-Unis, pourrait renforcer la reconnaissance mondiale de la recherche menée dans ces régions. La reconnaissance des lauréats et des prix scientifiques dans les PRFM indiquerait que leurs recherches méritent les plus hautes récompenses.

Comment les chercheurs en début de carrière peuvent-ils aider ?

Étant étroitement impliqués dans le travail scientifique quotidien, les jeunes scientifiques sont souvent les premiers à remarquer les disparités et les inégalités qui se manifestent. Par exemple, en 2016, pendant qu'il était en Égypte, M.S. a obtenu une place dans un atelier à l'Université de Stanford en Californie, pour une formation pratique en neurosciences avancées et en méthodes de bio-imagerie. Mais il n'a pas pu s'y rendre car il n'avait pas les moyens de financer son voyage et son hébergement, ce qui montre à quel point l’écart entre les chercheurs disposant de ressources suffisantes et ceux qui n'en ont pas est enraciné. Cette expérience a conduit M.S. à plaider pour que les chercheurs moins privilégiés disposent de créneaux réservés et entièrement financés pour participer à des ateliers internationaux. Il a contacté des personnes impliquées dans des comités de sociétés professionnelles, a écrit aux organisateurs d'ateliers et a contacté une agence de financement internationale afin d'obtenir des bourses de voyage pour les étudiants des pays à faible revenu pour qu'ils puissent participer à l'atelier de Stanford.

Nous encourageons les chercheurs en début de carrière du monde entier à utiliser leurs propres expériences et plateformes pour favoriser des collaborations internationales significatives. Ensemble, les voix des scientifiques en début de carrière ont plus de poids pour défendre des pratiques scientifiques inclusives et équitables que n'importe quel effort individuel. Les scientifiques en début de carrière ont la possibilité de former des partenariats internationaux axés sur les avantages mutuels plutôt que sur l'aide; de plaider en faveur de politiques qui soutiennent un accès équitable aux ressources, aux subventions et aux publications; d'encourager le partage des compétences et les activités de transfert des connaissances dans nos institutions ; et de s'engager avec des collègues des origines diverses pour comprendre les défis auxquels sont confrontés les chercheurs dans des circonstances moins privilégiées. Voici quelques mesures que les jeunes scientifiques peuvent prendre pour changer le statu quo:

- Soutenir la recherche inclusive au niveau mondial en recherchant des collaborations entre institutions de pays ayant des niveaux de développement économique différents. Promouvoir des programmes qui considèrent les partenariats comme des collaborations équitables, et non comme des efforts unilatéraux. Par exemple, au cours de son doctorat, N.M. a participe au consortium international PanProstate Cancer Group afin d’assister à l'analyse des données de séquences du génome entier de plus de 1 000 hommes atteints du cancer de la prostate. Il a observé comment les équipes plus petites favorisaient une collaboration équitable. L'organisation avait une structure de gestion horizontale qui permettait aux chercheurs de tous les niveaux d'expérience de participer à la définition des priorités, et il a rencontré des chercheurs chevronnés des pays à revenu élevé qui plaident pour l'inclusion des populations et des scientifiques africains dans la recherche en génomique.

- Plaider en faveur d'un siège à la table des comités, des groupes d'experts et des groupes de pilotage qui déterminent les caractéristiques des partenariats internationaux. Veillez à ce que ces efforts soient significatifs et réciproques, et à ce qu'ils tiennent compte des expériences et des besoins des chercheurs dans les PRFM. Ce faisant, vous pouvez élargir votre réseau tout en apportant aux discussions une connaissance des défis pratiques et des privilèges.

- Identifier et poursuivre les projets de recherche qui nécessitent intrinsèquement un échange de données, de travaux sur le terrain, d'équipements ou d'expertise avec des partenaires internationaux. Cela permettra non seulement d'améliorer la portée de la recherche, mais aussi de favoriser une relation symbiotique dans laquelle toutes les parties sont gagnantes. Par exemple, A.D. retourne fréquemment, en tant qu'ancien étudiant, à l'Université du Ghana à Accra pour animer des ateliers sur les neurosciences computationnelles et l'apprentissage automatique, parrainés par l'organisation caritative TReND en Afrique. En partageant son expertise avec les étudiants ghanéens, il les a sensibilisés et a suscité leur intérêt pour ce domaine, et certains d'entre eux ont poursuivi des études supérieures dans ces disciplines.

- S'organiser avec d'autres scientifiques pour encourager les institutions et les bailleurs de fonds à modifier leurs politiques afin que les chercheurs des PRFM ne soient pas marginalisés ou, dans le pire des cas, exploités par l'exportation de leurs échantillons ou de leurs données vers des laboratoires internationaux sans recevoir d'opportunités équitables en retour.

- Établir de manière proactive des relations avec des personnes dans les institutions partenaires, dans les comités des organisations de financement et dans les gouvernements locaux. Les chercheurs en début de carrière, tant dans les pays à faible revenu que dans les pays à revenu élevé, doivent considérer leur réseau comme étant à la fois local et mondial dès le début de leur carrière.

Le monde est plus connecté que jamais - et pour résoudre les défis mondiaux, le succès des scientifiques des pays à faible revenu est aussi important que celui des scientifiques des pays à revenu élevé. S'efforcer de jeter des ponts entre ces nations devrait être un élément essentiel de la carrière de chaque scientifique, tout en agissant pour le bien commun.