La science vue par les favoris à l'élection présidentielle française

A quelques jours de l'élection présidentielle française, Nature a discuté science avec les deux principaux candidats : François Hollande du Parti Socialiste et Nicolas Sarkozy de l'UMP.

B. Tessier/ REUTERS

NICOLAS SARKOZY
Quelles sont les principales réalisations de votre présidence ?
Sans hésitation, la loi sur l’autonomie des universités, votée et promulguée en 2007, fut la principale réforme dans ce secteur pendant mon premier mandat. Les moyens accordés aux universités ont augmenté de 22% en moyenne depuis 2007. Ils sont accompagnés d’un plan de 5 milliards d’euros en capital pour rénover les campus universitaires. La capacité de décision stratégique des universités a été renforcée. Elles peuvent désormais devenir propriétaires de l’ensemble de leur patrimoine foncier si elles le demandent. Elles peuvent emprunter pour lancer de grands programmes d’investissement. Elles ont acquis une grande liberté de fixation des revenus de leurs personnels à travers la possibilité de leur attribuer des primes. Le recrutement des personnels scientifiques des universités est désormais entièrement libre de toute intervention du ministère de l’enseignement supérieur, malgré le statut de fonctionnaire maintenu pour ces personnels. Ce ne sont ni des souhaits, ni des vœux que j’exprime, ce sont désormais des réalités. Vous pouvez vérifier tout cela dans les nouvelles réglementations qui régissent désormais la vie des universités.

Reformer la recherche est-elle toujours une priorité pour vous, ou pensez-vous avoir déjà accompli les principales réformes ? Allez-vous maintenir la recherche comme une priorité des dépenses publiques ?
La politique menée depuis 2007 fait largement consensus. François Hollande a dit qu’il ne reviendrait pas sur l’autonomie des universités. Il a même affirmé qu’il chercherait à accélérer la mise en œuvre du programme des investissements d’avenir, lancé en 2009 pour un montant de 35 milliards d’euros. Le monde académique attendait depuis très longtemps ces réformes, qu’aucun gouvernement, ni de droite, ni de gauche, n’avait jusqu’ici osé lancer.

Comme lors de mon premier mandat l'enseignement supérieur et la recherche seront des priorités pour mon second mandat si les français me font confiance. Investir dans l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation est la meilleure réponse à la crise et une garantie pour notre avenir.

De nombreux scientifiques de renom se plaignent de la baisse du financement des laboratoires par les organismes de recherche français. Comment allez-vous remédier à cette situation ?
De 2007 à 2011, près de 800 millions d’euros supplémentaires ont été inscrits chaque année dans les budgets votés par le Parlement pour la recherche. Le programme des investissements d’avenir a réservé 22 milliards d’euros pour l’enseignement supérieur et la recherche. En 2011, la part du PIB français consacrée à la dépense intérieure de R&D aura atteint environ 2,3%, retrouvant ainsi son meilleur niveau historique. La France est un des rares pays occidentaux dans lequel cet indicateur aura augmenté malgré la crise économique. Les budgets des principaux organismes publics de recherche, CNRS, INSERM, CEA, INRA, ont augmenté chaque année depuis 2007. Pour l'ANR, il est vrai que son budget d’intervention a stagné. Mais elle est chargée de répartir les 22 milliards d’euros prévus par le programme des investissements d’avenir (grand emprunt) pour l’enseignement supérieur et la recherche. Ce qui est vrai, c’est que nous avons mis fin à la mauvaise habitude française qui consistait à répartir de façon récurrente et parfois égalitariste les crédits de la recherche par les principaux organismes de recherche. L’ANR, y compris pour les programmes des investissements d’avenir, fait désormais appel à des jurys externes, composés de scientifiques reconnus internationalement. Les meilleures équipes de recherche françaises ont bénéficié d’une augmentation sans précédent de leurs financements. Mais ces fonds n’ont pas forcément transité par les principaux opérateurs, CNRS, INSERM, INRA, CEA, ce qui provoque parfois les critiques des chercheurs statutaires de ces organismes.

Allez-vous maintenir le statut de fonctionnaire des chercheurs ?
En France, la tradition du service public est très forte. Ce n’est d’ailleurs pas le seul pays où il en est ainsi. Et la recherche publique fait partie, en France, des services publics. En fait, avec la généralisation des contrats postdoctoraux qui a été réalisée depuis une dizaine d’années en France, nous ne sommes pas très loin du système de « tenure » qui prévaut dans le monde entier pour les recrutements. Pendant 3 à 6 ans, les docteurs peuvent bénéficier de contrats postdoctoraux. Ceux qui en bénéficient sont pour les trois quarts recrutés ensuite par des organismes de recherche ou des universités. Mais, vous avez raison, cette question du statut des chercheurs devra sans doute être un jour abordée. Mais ce n’est pas d’actualité.

Certains scientifiques disent que les réformes universitaires et les initiatives d'excellence créent un système à deux vitesses. Comment allez-vous maintenir la qualité de la recherche partout en France ?
Globalement l’exécution des budgets des universités en 2011 montre un résultat excédentaire. Il n’y a donc pas du tout de déficit dans l’exécution des budgets comme on a pu le dire ici ou là. Pour la première fois en France, toutes les universités ont la pleine responsabilité d’organiser et de gérer leurs budgets. Pour 95% d’entre elles, elles y ont réussi sans aucun problème. Pour d’autres, cela a été un peu plus délicat, mais elles ont très vite appris. Les difficultés qui sont apparues proviennent souvent du changement de cadre comptable, notamment en matière de provisions pour amortissements. Et la masse salariale qui a été transférée aux universités autonomes est plus importante que ce que l’État versait autrefois directement aux personnels des universités. De plus, au cours des trois dernières années, ceux-ci ont bénéficié de 251 millions d’euros de revalorisation de leurs rémunérations.

La flexibilité des droits d’inscription n’est pas demandée par la Conférence des présidents d’université, instance représentative des responsables des universités. Je vous fais observer que des pays comme la Suède ou la Suisse ont d’excellentes universités avec des droits d’inscription très faibles, voire nuls pour la Suède. Rendre flexibles les droits d’inscription n’est donc pas la panacée dont rêvent certains. Cette question des droits d’inscription est typique des faux problèmes qui sont parfois soulevés en France. Voulez-vous que nous fassions comme la Grande Bretagne, qui a autorisé ses universités à relever fortement leurs droits d’inscription et qui, depuis, connaît une réduction significative du nombre de ses étudiants ? Est-ce un progrès ?

Quant aux Investissements d’Avenir dont les initiatives d’excellence constituent la partie la plus importante, ils correspondent exactement à l’initiative d’excellence lancée il y a quelques années par l’Allemagne en faveur de ses meilleures universités, et qui a permis de faire émerger 9 universités d’excellence en Allemagne. Ce programme lancé par l’Allemagne a-t-il jamais été critiqué ? Pourquoi ce qui est bon pour les universités allemandes ne le serait pas pour les universités françaises ? Effectivement, 8 sites ont été identifiés en France pour faire émerger des universités de classe mondiale, avec le soutien des organismes de recherche. Il n’y a pas pour autant d’inégalité des chances entre les universités. D’abord parce que les Investissements d’Avenir ne se résument pas aux initiatives d'excellence. Comme en Allemagne, nous avons organisé un appel à projets pour des clusters d’excellence, pour des instituts hospitalo-universitaires afin de doter 5 universités françaises de véritables « Medical Schools », pour des laboratoires d’excellence, pour des équipements scientifiques. Lorsque vous regardez la carte de France des universités, vous vous apercevez que 90% d’entre elles ont bénéficié d’un soutien au titre des Investissements d’Avenir. Ensuite, parleriez-vous d’une iniquité aux États-Unis parce que toutes les universités ne bénéficient pas des moyens de Harvard ou de Berkeley ? Non. Diriez-vous que les universités de recherche sont uniformément réparties sur tout le territoire américain ? Non. C’est exactement pareil en France : si nous voulons des champions de classe mondiale pour la recherche, nous devons concentrer les moyens sur les sites où la recherche est du meilleur niveau. Enfin laissez-moi souligner que les sites qui ont bénéficié de l’initiative d’excellence n’ont pas été choisis par le gouvernement, mais par un jury international présidé par le professeur Rapp, ancien Recteur de l'Université de Lausanne et président de l'Association européenne des universités. Et le jury ne comprenait que des scientifiques étrangers, ou français mais travaillant hors de France. Il comportait aussi des directeurs de la recherche de grands groupes industriels.

Vous savez, je suis un grand amateur de courses cyclistes et j’adore notamment suivre chaque été le Tour de France. On n’a jamais vu le peloton accélérer parce que les derniers allaient plus vite. Le peloton accélère lorsque ce sont les leaders qui accélèrent. Eh bien, je pense que les Investissements d’Avenir, parce qu’ils récompensent les meilleurs, vont promouvoir tout le système de recherche et d’enseignement supérieur français, et pas seulement les lauréats.

Pour les sites qui n’ont pas été retenus au titre des initiatives d’excellence, nous veillerons à ce qu’ils tiennent leur rang, en particulier en matière de formation. J’observe aussi que le comité de suivi, co-présidé notamment par l’ancien Premier ministre socialiste Michel Rocard, s’est félicité de la façon dont les Investissements d’Avenir avaient été affectés. Même à gauche, des voix s’élèvent pour demander que de tels programmes soient désormais lancés régulièrement, comme l’a récemment réclamé le président du think tank Terra Nova, proche du parti socialiste.

Beaucoup de chercheurs soulignent  le fait que la bureaucratie a augmenté dans un paysage de la recherche déjà complexe. Qu'allez-vous faire pour simplifier cela ?
C’est vrai que de nouvelles structures sont apparues. Beaucoup sont appelées à se consolider, d’autres à se simplifier, à s’alléger. Le paysage français de l'enseignement supérieur et de la recherche est en pleine restructuration. Comme sur un grand chantier de construction, vous avez des échafaudages, des bâches, des dispositifs encore provisoires. Et bien sûr, cela peut sembler un peu compliqué. Mais lorsque le chantier avance, les échafaudages sont démontés, les bâches enlevées et le nouveau bâtiment apparaît. Il en sera ainsi des universités et la recherche en France. D’ici quelques années, le paysage aura été profondément modernisé et rénové. Le prix à payer est une complexité transitoirement accrue. Mais croyez-vous que le système français était optimal il y a 5 ans ? Etait-il parfaitement adapté à la compétition pour la société de la connaissance ? Quelles réflexions inspiraient aux universitaires français nos classements internationaux ? Etait-il concevable de rester les bras croisés, comme tant de mes prédécesseurs ? Et de se contenter de constater notre impuissance à réformer ? Non, la France mérite mieux ! La France est un pays plein d’intelligence et de talents. J’ai pour nos chercheurs beaucoup d’estime et de reconnaissance. Je leur fais confiance pour s’approprier les réformes en cours.

Dans ce nouveau paysage de la recherche française, quels rôles voyiez-vous pour les grandes agences de recherche nationales, comme le CNRS et l'INSERM ?
Le CNRS et l’INSERM ne sont pas des agences comme la NSF, mais des organismes de recherche, opérateurs de la recherche, ce qui est très diffèrent. La France est un cas très particulier dans le monde : juste après la seconde guerre, on a séparé les universités des institutions où se faisait la recherche fondamentale. Seuls les pays communistes connaissaient à l’époque une telle organisation, URSS et Chine, notamment. Et même dans ces pays, ce modèle été abandonné. Aux États-Unis, l’immense majorité des opérateurs de la recherche sont des universités. Ce n’est pas encore le cas en France, mais c’est notre objectif. Les choses vont évoluer. Pourquoi ce qui marche ailleurs ne marcherait-il pas pour la France ? Ce serait extraordinaire tout de même ! Et les organismes de recherche sont appelés à devenir davantage de vraies agences de moyens, au service des universités et des établissements où la recherche a été jugée la plus prometteuse, à savoir les initiatives d’excellence.

Le crédit impôt recherche, qui a coûté plus de € 5,2 milliards cette année, est l'un des plus généreux au monde. Il a fait de la France un pays attractif pour l'implantation d'installations de R&D. Mais les dépenses en R&D des entreprises restent faibles. Il en est de même pour la création de start-up high-tech. Quelles mesures prendrez-vous pour améliorer cette situation ?
Le relatif manque d’intérêt de nombreuses entreprises françaises pour la R&D est effectivement pour nous un véritable problème. Mais là aussi les choses changent, notamment avec le Crédit Impôt recherche auquel vous faites allusion. On nous a objecté que ce système d’incitation fiscale bénéficiait surtout aux très grandes compagnies. Mais 80% des entreprises qui en bénéficient sont des petites et moyennes entreprises. Elles en bénéficient évidemment à un niveau inférieur à celui des grandes entreprises. Cela est dû tout simplement à un effet de taille. Je ne suis pas contre la mise en œuvre de systèmes qui soient plus incitatifs pour les petites et moyennes entreprises. Mais surtout, il ne faut pas limiter le dispositif: ce n’est pas parce qu’on limiterait l’accès des grandes entreprises au crédit-impôt-recherche que les PME en profiteraient davantage. C’est un raisonnement stupide car aucune contrainte globale ne pèse sur ce dispositif. Il faut sans doute mieux accompagner les petites et moyennes entreprises vers le crédit-impôt-recherche, mieux leur apprendre à l’utiliser. Il faut les inciter à se rapprocher des grands laboratoires de la recherche publique. Je propose également qu’on leur fasse l’avance du crédit d’impôt quand c’est nécessaire pour soulager leur trésorerie. Mais le mieux serait sans doute que vous interrogiez des chefs d’entreprises pour savoir ce qu’ils pensent du dispositif. Aucun ne l’a critiqué, au contraire, tous en redemandent !

Au cours de la campagne électorale, peu de discussions et propositions ont été faites sur le changement climatique et les questions énergétiques. Quelle est votre politique sur ces questions ?
La raison est simple : sur le changement climatique, je suis à l’origine du lancement de ce qu’en France nous appelons le Grenelle de l’environnement, c’est-à-dire un véritable engagement de tout notre pays dans le développement durable, qu’il s’agisse de l’énergie, de l’agriculture bio, des filières industrielles nouvelles, des transports etc. Aucun autre pays n’a lancé une telle réflexion, associant tous les acteurs concernés et conduisant à des décisions structurantes majeures.

Mon programme dans le domaine de l’écologie est simple : poursuivons et amplifions.

J’observe que, de son côté, à l’heure de la raréfaction de l’énergie fossile et de la lutte contre le changement climatique, M. Hollande propose la fin de notre industrie nucléaire et le blocage des prix de l’essence, c’est-à-dire des solutions totalement contraires aux enjeux. Dans ces conditions, le débat se limite à combattre ces propositions inadaptées.

Allez-vous maintenir à 75 % la part du nucléaire dans la production d'électricité française ?
Actuellement 75% de l’énergie électrique produite en France est en effet d’origine nucléaire. Ce n’est pas un objectif, c’est un constat. Je souhaite intensifier la recherche pour des générateurs nucléaires plus sûrs, mais nous développons aussi la R&D pour l’usage de sources alternatives d’énergie. Nous dépensons aujourd’hui autant dans le développement du nucléaire que dans le celui des énergies renouvelables. Les deux sont complémentaires, et non pas antithétiques. Je cherche à gérer au mieux, sur la durée, sans pénaliser notre économie et sans mettre notre indépendance énergétique en péril, la transition, qui aura de toutes façons lieu, en France comme ailleurs, vers des productions d’énergie alternatives. Dans l’intervalle, il serait stupide et contre-productif que la France se prive de l’atout considérable qu’est l’énergie nucléaire. Regardez en Allemagne, la faillite récente d’un des leaders mondiaux de l’énergie solaire. Croyez-vous que ce soit un bon départ pour la reconversion de l’Allemagne vers le zéro nucléaire ? En France, au contraire, nous avons récemment sauvé la filière solaire. Le Commissariat à l’énergie atomique a créé en son sein un institut pour l’énergie solaire. Cet institut met sur pied des procédés de fabrication de panneaux photovoltaïques respectueux de l’environnement, ce qui n’est pas le cas actuellement, pour les panneaux disponibles sur le marché et dont la grande majorité provient de Chine.

L'environnement, la biodiversité et l'écologie, qui étaient des thèmes majeurs de la campagne présidentielle de 2007,  semblent largement absents de la campagne 2012. Quelles seraient vos principales  mesures dans ces domaines ?
Il n’y a pas de débat important pendant cette campagne électorale sur ces sujets, parce que l’action menée depuis 2007 fait elle aussi largement consensus.

Quelle est votre position sur une plus grande intégration  des systèmes de recherche nationaux et européen, en particulier sur les sujets  de grande importance socio-économique ?
La France a toujours défendu les grands programmes de recherche en Europe, comme ceux développés au CERN, à Genève, ou autour de l’Agence spatiale européenne, ou encore autour d’ITER, le grand projet de réacteur expérimental pour la production d’énergie à partir de la fusion.

Le budget recherche de l’Union européenne ne pèse toutefois que pour une faible part dans la masse des budgets de R&D dépensés chaque année par les États membres. Ce qui est important, c’est donc une meilleure coordination des budgets de recherche des grands pays européens, France, Allemagne et Grande Bretagne notamment. La somme de leurs budgets de recherche constitue largement plus de la moitié des sommes investies dans la recherche en Europe. Il faut mieux coordonner ces dépenses. Grâce à une initiative française pendant la Présidence française de l’Union européenne en 2008, un Joint Programming, coordination des budgets des États membres autour de quelques thèmes jugés prioritaires, comme la recherche sur la maladie d’Alzheimer, a été lancé. Il faut poursuivre sur cette voie.

Changerez-vous les lois françaises relatives aux recherches sur les embryons humains et les cellules souches embryonnaires ?
S’agissant de l’embryon, a question a été très largement débattue au Parlement en 2011 lors du réexamen de nos lois de bioéthique. Du point de vue scientifique,le régime d’interdiction de la recherche sur l’embryon assorti de possibilités de dérogation est strictement équivalent à celui (réclamé par les socialistes) d’autorisation avec encadrement.

Du point de vue de nos valeurs, en revanche, il n’en va pas de même. Lors des nombreuses réunions organisées dans le cadre des Etats généraux de la bioéthique en 2011, les Français ont massivement exprimé leur attachement au caractère sacré de la vie depuis son commencement. La Représentation nationale a donc tranché et la recherche sur l’embryon conserve un caractère dérogatoire en France. Les projets sont évalués et autorisés par l’Agence de la biomédecine, dès lors qu’ils revêtent une pertinence cognitive ou thérapeutique. Entre février 2006 et février 2011, 173 autorisations concernant des cellules souches embryonnaires ont été accordées par l’Agence de la biomédecine : 71 concernaient des recherches sur des cellules souches embryonnaires, 24 la conservation de cellules souches, et 46 l’importation de lignées. Aucun projet sérieux n’a été rejeté. Il est faux de prétendre que notre dispositif législatif freine l’essor des connaissances. C’est de la propagande pure et simple. Je considère au contraire que la loi est équilibrée et a l’avantage d’être bien acceptée de l’immense majorité des Français, ce qui est indispensable. Cette loi est respectueuse de notre socle de valeurs partagées, sans pour autant freiner l’essor des connaissances.

A. JOCARD/AFP/ Getty

FRANÇOIS HOLLANDE
Les universités françaises ont connu de profonds changements sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Allez-vous poursuivre la politique engagée ?
La loi sur l’autonomie des universités doit être profondément réformée. Il ne s’agit pas de revenir sur le principe d’autonomie. Rappelons que c’est la Gauche qui, en France, a conduit les lois de décentralisation, mais de changer la façon dont elle a été mise en œuvre. Je souhaite une gouvernance plus collégiale et plus démocratique qui permette le respect des libertés académiques.

Le principe de compensation devra être respecté : à transfert de charges, transfert de moyens. Il s’agit de donner les moyens à l’Université autonome, ancrée sur son territoire, d’élaborer sa politique scientifique et sa stratégie par la mise en cohérence des différents partenaires : écoles, organismes de recherche, acteurs socio-économiques, sur la base de contrats d’objectifs et de moyens négociés.

Je veux que les mécanismes de financement des universités soient clarifiés et qu’ils ne conduisent pas à accroître les disparités, notamment en rognant sur les formations dispensées ou sur les rémunérations des enseignants-chercheurs et des chercheurs. Ces réformes seront discutées dans une loi-cadre sur l’Enseignement Supérieur et la Recherche discutée avant fin 2013, précédée dès 2012, d’assises de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

De nombreux scientifiques de renom se plaignent de la baisse du financement des laboratoires par les organismes de recherche français. Comment allez-vous remédier à cette situation ?
En 2011 et 2012, les niveaux globaux de financements ont baissé tant dans les organismes qu’à l’Agence National de Recherche. Cela prouve que les discours du Président-Candidat ne constituent que de la « poudre aux yeux ». Je rééquilibrerai donc les crédits appelés « soutiens de base », soutiens permettant aux équipes de se projeter sur le moyen et le long terme, et les crédits sur projets.

La situation de la recherche française est spécifique. Elle associe universités et organismes de recherche. Il faut en tenir compte pour ne pas casser ce qui marche. Cette modification stratégique conduira à recentrer les missions de l’Agence Nationale de la Recherche sur les priorités nationales, les projets émergents et les projets interdisciplinaire.

Donner la priorité à l’Enseignement Supérieur et à la Recherche, cela signifie leur attribuer des budgets conséquents. Je le ferai après un audit financier des plans successifs lancés par le précédent Gouvernement, (contrat de projets entre l’Etat et les Régions, plans campus, investissements d’avenir), non financés et non exécutés pour certaines comme les CPER. Je ferai le point sur la réalisation des investissements. J’évaluerai également leur répartition sur le territoire et je procéderai ensuite aux arbitrages financiers nécessaires.

Certains scientifiques disent que les réformes universitaires et les initiatives d'excellence créent un système à deux vitesses. Comment allez-vous maintenir la qualité de la recherche partout en France ?
La notion d’excellence a été dévoyée avec la prolifération du suffixe EX (Labex, Equipex, Idex). L’excellence est un mot à qui il faut redonner un sens noble. Ce foisonnement d’initiatives n’a pas été couronné de succès, car il y a un précipice entre l’annonce de 22 milliards pour les investissements d’avenir et la réalité. Il ne s’agit que des intérêts de cet emprunt distribué sur dix ans. Les pays étrangers pensent que la recherche française croule sous l’argent, alors que les crédits reçus ne compensent pas les baisses observées au CNRS en deux ans (un quart de moins dans les laboratoires). 1 milliard annoncé, c’est en réalité 34 millions de reçu par an pour l’université lauréate.

De plus, les investissements d’avenir ont aggravé les disparités et les déséquilibres. La France de la recherche, ce n’est pas seulement Paris, Bordeaux, Toulouse, Aix, Marseille et Strasbourg. Il est étonnant que ni Grenoble, ni l’université de Lorraine, sélectionnés et qui présentaient des dossiers spécialisés en ingénierie n’aient pas été retenus par les jurys.

Je ne remettrai pas le travail considérable accompli par les équipes, je ne renierai pas la parole de l’Etat, mais après l’audit, je demanderai — dans le cadre des crédits non affectés — de corriger les inégalités territoriales. Je veillerai à ce que ne se constituent pas des déserts universitaires et scientifiques. J’impulserai une logique de coopération qui se substituera à une logique de compétition. Je réduirai le clivage croissant et la concurrence effrénée entre les universités.

La recherche sera-t-elle une de vos priorités de dépenses publiques ? Comment allez-vous augmenter la compétitivité de la recherche française ?
J’ai choisi de faire de la jeunesse le socle de mon projet pour la France, de donner priorité à l’éducation, de la petite enfance à l’université. J’ai décidé d’accorder à l’enseignement supérieur et à la recherche la priorité parce que le problème majeur de la France est celui de la préparation de son avenir.

Pour améliorer la compétitivité de la recherche Française, je souhaite une meilleure coopération entre universités et organismes de recherche L’université, associée aux grands organismes de recherche doit être placée au centre de l’offre de formation et de recherche. Chaque territoire pertinent doit avoir pour perspective la création d’une grande université, coordonnant l’offre de formation et de recherche.

Je proposerai des réformes associant plus efficacement recherche publique et recherche privée.

Je réaffirme la place de l’unité mixte de recherche, associant des équipes issus des universités et grands organismes, comme élément structurant de la recherche universitaire.

Les grands organismes doivent être associés, définir les priorités, effectuer la programmation et retrouver des moyens.

Je veux favoriser la recherche fondamentale, sacrifiée ces dernières années, en apportant une attention particulière aux sciences de la vie, dont les financements sont très inférieurs aux moyennes internationales et aux sciences de l’environnement.

Quels futurs rôles voyiez-vous pour les grands organismes de recherche français comme le CNRS et l'Inserm ?
La France a la chance d’avoir de grands organismes de recherche (le CNRS, l’INSERM, le CEA, l’INRA, l’INRIA…). Cette exception française doit constituer un atout. Ceux-ci doivent retrouver un rôle de pilotage scientifique national et d’appui à la recherche conduite dans les universités. Il y a une aberration à avoir créé en France, des organismes comme le CNRS ou l’INSERM, très bien évalués au niveau international et à ne pas accorder des crédits à certaines équipes de ces organismes. C’est tout simplement du gâchis.

Allez-vous maintenir le statut de fonctionnaire des chercheurs ?
Je suis favorable au maintien de deux statuts distincts entre les enseignants-chercheurs et les chercheurs, mais en élargissant le champ de la mobilité. Des chercheurs doivent pouvoir s’engager par contrats pluriannuels avec les universités. Les enseignants-chercheurs doivent pouvoir disposer de temps consacré à la recherche durant leur carrière. Cette mobilité doit être plus large qu’aujourd’hui et concerner les champs de l’administration de l’Etat, les collectivités territoriales, les entreprises publiques et privées. Les missions d’expertises,  de consultation, de diffusion de la culture scientifique et technique, de médiation scientifique, de coopération internationale, de publication d’ouvrages… seront prises en compte dans l’évaluation.

De nombreux chercheurs se plaignent de l'accumulation de nouvelles structures, d'un paysage de la recherche française encore plus complexe et d'une bureaucratie encore plus grande. Qu'allez-vous faire pour simplifier cela ?
Le paysage de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche est devenu illisible par l’accumulation de nouvelles structures (pôles, agences, réseaux, plans…). La France est devenue le pays de la géologie politique où les réformes s’accumulent par couches successives recouvrant les anciennes, sans les faire disparaître.

Je veux enfin que les chercheurs puissent se consacrer à leurs recherches, plutôt que de devenir « chercheurs de crédits » ou évaluateurs à mi-temps. Je reviendrai donc sur la cohérence de l’évaluation entre l’agence Nationale de l’Evaluation, le Conseil National des Universités et les comités nationaux des organismes. L’évaluation des individus, des équipes des laboratoires, devra être séparée de l’évaluation stratégique des universités ou des organismes. Cette réforme devra s’articuler avec une simplification identique au niveau européen.

Les assises auront pour objectif de proposer ces modifications de l’organisation de la recherche française.

Le crédit impôt recherche, qui a coûté plus de € 5,2 milliards cette année, est l'un des plus généreux au monde. Il a fait de la France un pays attractif pour l'implantation d'installations de R&D. Mais les dépenses en R&D des entreprises restent faibles. Il en est de même pour la création de start-up high-tech. Quelles mesures prendrez-vous pour améliorer cette situation ?
L’effort de recherche privée doit augmenter significativement. Il stagne depuis 10 ans. L’innovation est un moteur essentiel du progrès et de la compétitivité. Elle doit être un levier de la croissance et de la  réindustrialisation de la France et de l’Europe.

Je recentrerai le dispositif du crédit impôt-recherche sur les entreprises qui en font le meilleur usage. Je l’élargirai à l’innovation, j’augmenterai la part dont bénéficieront les PME, favoriserai la collaboration entre laboratoires publics et privés, encouragerai la constitution de réseaux entre grands groupes et petites entreprises de recherche et inciterai à embaucher des docteurs pour bénéficier du Crédit Impôt Recherche.

Je souhaite créer un statut de l’entreprise d’innovation et de croissance, afin de ne pas discriminer les entreprises qui constituent le processus d’innovation.

Je proposerai une nouvelle étape de décentralisation confiant aux régions la responsabilité de la politique d’innovation et souhaite mettre en place un « Small Business Act » au niveau européen en réservant une part de marché public aux PME en attribuant les marchés au mieux disant innovant.

Quelle sera votre politique sur le nucléaire, les autres technologies énergétiques et les changements climatiques ?
Les sciences de l’environnement constituent une toute première priorité car je souhaite que la France réussisse en quinze ans une transition énergétique faisant passer la part du nucléaire dans la production de l’électricité de 75 à 50%.

Je m’inscris également dans le respect des engagements européens sur la réduction de rejets de gaz à effet de serre et sur les engagements internationaux de réduction des rejets d’un facteur 4 à l’horizon 2050. Cela signifie donc que les recherches portant sur le réchauffement climatique, sur ses effets, sur nos objectifs d’adaptation au changement climatique, sur la ressource en eau, sur la qualité de l’eau, sur la biodiversité, sur les énergies renouvelables, sur l’efficacité énergétique seront soutenues en priorité.

J’impulserai donc des grands programmes prioritaires de recherche portant notamment sur les technologies de rupture comme le stockage de l’électricité, sur la mutation verte de certaines filières de productions, sur les procédés économes en énergie, sur la dépollution des sols.

J’ai décidé de continuer la construction de l’EPR à Flamanville.  La position définitive de la France sera établie après un bilan du début du fonctionnement des EPR, actuellement en construction en France, en Finlande et en Chine.

Des recherches sur les réacteurs de nouvelle génération à sécurité renforcé et sur la fusion seront poursuives.

Les programmes de recherche sur le stockage des déchets respecteront les lois de 1971 et de 2006. Ils seront engagés dans différentes voies : vitrification, inertage et conditionnement, séparation des radionucléïdes et vitrification et enfin stockage réversible en couches profondes. Aucun éventuel stockage réversible ne sera autorisé avant décision du Parlement.

Qu'allez-vous faire pour améliorer l'intégration des systèmes de recherche nationaux et européen, en particulier sur les sujets de grande importance socio-économique ?
Je souhaite donner à l’Europe plus d’ambition en matière de recherche et d’innovation, pour peser sur le plan international. Nous devrons mieux définir les thématiques dans lesquels l’Union Européenne doit être leader, car si le programme horizon 2020 se propose de débloquer 80 milliards d’euros, il faut mettre fin à l’ouverture de la « pêche aux crédits », où il y a beaucoup de temps perdu, de perte en ligne, de doublons entre les Etats membres et l’Union, comme par exemple dans le cadre de l’évaluation.

Je souhaite que nous allions plus loin dans les échanges entre universités européennes, en renforçant les programmes Erasmus au niveau Master, en développant les doctorats en co-tutelle. Je proposerai à nos partenaires européens la transformation du conseil Européen de la Recherche en une véritable agence européenne de la Recherche, le lancement d’un emprunt d’avenir européen sous la forme d’euro-obligations, et l’instauration d’une contribution carbone européenne pour soutenir la recherche dans les domaines du climat et de l’énergie. Le niveau européen doit être privilégié pour renforcer la coopération avec les pays du Sud, notamment autour de projets sur l’agriculture et l’alimentation, l’eau, la santé et l’énergie. La Science au Nord doit irriguer la Science du Sud. Je proposerai enfin de lancer un grand projet de financement de l’innovation adossé à la Banque Européenne d’Investissement.

Changerez-vous les lois françaises relatives aux recherches sur les embryons humains et les cellules souches embryonnaires ?
J’ai déclaré lors d’une visite au Génopôle d’Evry que j’autoriserai la recherche sur les cellules souches embryonnaires pour clarifier une situation dans laquelle, la loi bioéthique de 2011 maintient l’interdiction de recherche tout en accordant de larges dérogations à ce principe. Il convient donc de mettre fin à cette forme d’hypocrisie.

Quelle sera votre politique sur les cultures OGM ?
Lors d’une visite à une entreprise lorraine, Plants Advance Technologies, j’ai indiqué que je suis favorable à la recherche sur les organismes génétiquement modifiés, si celle-ci est autorisée par le Haut Conseil des Biotechnologies. Des autorisations de recherche au cas par cas pourraient être autorisées en plein champ comme cela a été le cas à Colmar pour un essai, si une large discussion au préalable a eu lieu avec les collectivités et les associations. Dans le cas de Colmar, des équipes travaillaient sur la prolifération d’un virus de la vigne, le virus du Court noué. Cet essai qui avait été autorisé a été malheureusement détruit, ce qu’on ne peut tolérer.

Je suis par contre inquiet de la volonté de certains pays, de généraliser la brevetabilité du vivant, permettant la concentration de brevets sur le vivant dans le portefeuille de quelques multinationales. Je m’y opposerai au niveau international et défendrai, le principe du certificat d’obtention végétale qui protège mieux la liberté de recherche.

Quel regard portez-vous sur les réformes du Président Sarkozy dans le domaine de la recherche et de l'enseignement supérieur ?
Le Président-Candidat a multiplié les réformes, mais sans donner les moyens d’accompagnement. En dix ans, si l’on se réfère au critère, d’intensité de recherche, nous sommes passés de la 4ème à la 15ème place des pays de l’OCDE (2,26% de la dépense extérieure brute de R&D, contre 2,82% à l’Allemagne, 2,90% aux États-Unis). La France est à la traine. Les discours du Président-candidat sur la grande réussite du quinquennat 2007–2012 en faveur de la recherche ne constituent que du « tape à l’œil ». En réalité, la confiance s’est rompue entre les acteurs de la recherche et le pouvoir. Mon premier objectif est de redonner confiance aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs. Mon deuxième, concerne la réussite des étudiants. Je demande une mobilisation générale pour améliorer la réussite dans les premiers cycles universitaires. Je veux enfin que les chercheurs formés par le doctorat, s’intègrent mieux dans la fonction publique et dans le secteur privé.

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